De l’intérêt d’inviter en classe un appelé du contingent pendant la guerre d’Algérie

Inviter un appelé du contingent à témoigner de son expérience de la guerre présente plusieurs avantages qui compensent largement l’heure (ou plus) prélevée sur la dotation horaire consacrée au programme d’histoire en classe de Première. C’est, pour les élèves, un moyen d’accéder à l’histoire par une expérience individuelle, démarche à laquelle ils sont très sensibles. C’est, pour l’enseignant, l’assurance de mobiliser une attention accrue pour traiter la guerre d’Algérie. L’Histoire est vivante, elle affecte les hommes et il faut donc comprendre pourquoi. Les rôles du témoin et de l’enseignant sont clairement distincts, le témoin n’ayant pas vocation à « faire le cours ».

Je propose ici quelques pistes qui s’appuient sur une pratique personnelle, pour mener à bien cette expérience :

Pourquoi un appelé ?

L’ancien appelé témoigne d’une expérience qui a touché près de 1,5 million de jeunes Français et, à travers eux, des millions de familles. Il peut être vite perçu par les élèves auxquels il s’adresse comme un jeune proche en âge. D’autant que l’enseignant s’efface au maximum pour faciliter ce tête-à-tête. À titre d’exemple, un des appelés invités en classe se tenait debout près de l’écran projetant une photographie de lui, prise alors qu’il était en opération en 1961, et se présentait ainsi : « Celui qui vous parle n’est pas le grand-père que vous avez devant vous, c’est ce jeune de 20 ans, il a à peu près votre âge et on l’a envoyé faire la guerre en Algérie, un pays dont il ne savait rien »… Avec une telle accroche, ce témoin avait déjà conquis l’attention des élèves.

Comment préparer la séance ?

Il est important que le professeur connaisse préalablement l’invité, qu’il l’ait rencontré, ait en tête les moments importants du futur témoignage.

Comment organiser le témoignage ?

Un canevas précis doit être établi et l’enseignant conduit l’interview à l’aide de questions qui privilégient les points forts du témoignage.

L’enseignant doit limiter son rôle à ces relances rapides. C’est ici la parole de l’appelé qui prime.

Quelle place est réservée aux élèves dans cette situation ?

Une partition du temps claire doit être respectée entre le temps de l’écoute et celui des questions des élèves. Ces derniers comprennent que le témoin n’est pas venu faire le travail du professeur, mais qu’il apporte le témoignage d’une expérience humaine. Leurs questions, souvent très directes, l’attestent: « Avez-vous tué pendant la guerre ? Avez-vous ressenti de la haine ? Comment considériez-vous les Algériens ? En avez-vous parlé dans votre famille ? Vous arrive-t-il de rêver de la guerre ? », etc.

Faut-il accompagner le témoignage d’autres supports ?

Une carte et un petit nombre de photographies apportées par le témoin, scannées et projetées sur un écran sont d’une grande efficacité.

Quels moments du témoignage faut-il privilégier ?

Cela dépend évidemment du parcours de l’appelé, du/des secteur(s) d’affectation, de la période où il a été envoyé en Algérie, etc. Tous les anciens appelés nous répètent qu’il y a autant de guerres d’Algérie que d’appelés… C’est donc l’entrevue préalable avec celui-ci qui détermine la structure de l’interview.

Cependant, on peut d’emblée penser quelques questions types :

. À quel âge avez-vous été envoyé en Algérie ?

. Qui étiez-vous à ce moment-là (au plan familial, professionnel, éventuel engagement politique …) ?

. Que saviez-vous des « événements » en Algérie ?

. Comment s’est déroulé votre voyage vers l’Algérie ?

. Quel a été votre premier contact avec ce pays ?

. Où avez-vous été affecté ?

. Quelles étaient vos missions ?

. Pouvez-vous raconter une opération à laquelle vous avez participé ?

. Avez-vous participé à des combats (à faire raconter) ?

. Avez-vous fait des prisonniers et que devenaient-ils ?

. Avez-vous perdu des camarades lors d’accrochages ?

. Quels contacts avez-vous eus avec la population locale (Algériens, Français d’Algérie…) ?

. Que disait-on aux appelés envoyés en Algérie ?

. Y avait-il des Algériens engagés à vos côtés ?

. Quelle a été l’attitude de votre unité lors du putsch d’Alger en 1961 (si l’appelé est présent en Algérie à ce moment-là) ?

. Quelles étaient vos relations avec la France métropolitaine ?

. Quelles étaient les relations entre appelés ?

. Comment s’est déroulé votre retour à la vie civile ?

. La guerre a-t-elle eu des répercussions sur votre vie personnelle ?

. Avez-vous adhéré à une association d’anciens combattants ? Pourquoi ?

. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la guerre d’Algérie ?

. etc.

Et si l’on veut aller plus loin ?

Dans le cadre d’un Club ou d’une activité menée sur une année et rassemblant des élèves volontaires, comme un Club Histoire, le travail sur la guerre d’Algérie prendra soin de varier les témoignages pour travailler davantage sur la diversité des mémoires : celle des appelés, celle des pieds noirs, celle d’un combattant algérien, celle d’un harki, celle d’un partisan de l’Algérie française, selon les opportunités. Le Club Histoire du lycée Buffon avait ainsi réalisé plusieurs interviews puis les avait retranscrites dans un ouvrage au nom éclairant : « Guerre d’Algérie. Mémoires plurielles[1] ». C’est là une approche qui prépare par ailleurs à l’un des thème d’étude possible dans l’actuel programme de Terminale consacré aux rapports entre l’Historien et les mémoires.

Comment entrer en contact avec un appelé ?

En dehors des connaissances personnelles ou d’un grand-père d’élève (plus délicat à utiliser), le plus simple est de contacter une association d’anciens combattants.

A titre d’illustration : on peut se rapporter au témoignage délivré devant plusieurs classes de Première et devant le Club Histoire du lycée Buffon (Paris) par l’appelé Jean-Louis Cerceau et publié dans un des ouvrages réalisés par la Club Histoire du lycée Buffon.

Ce témoignage était publié accompagné de photographies apportées par le témoin.

On peut consulter la totalité du témoignage en se reportant à la rubrique « Témoignages » de ce site ou télécharger le témoignage

Claude Basuyau, professeur agrégé d’Histoire-Géographie et animateur du Club Histoire du lycée Buffon

[1] Cet ouvrage a été tiré en format poche et vendu à l’intérieur du lycée pour faire vivre le Club Histoire. Il n’a pas été commercialisé, mais son contenu sera disponible sur ce site.

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