« La conquête de l’Algérie, un cas très exceptionnel »

« La conquête de l’Algérie, un cas très exceptionnel », in Géopolitique de la France, Frédéric Encel et Yves Lacoste, PUF, 2016

Ce n’est pas un livre entièrement consacré à l’Algérie mais un article de 42 pages à l’intérieur d’un ouvrage intitulé « Géopolitique de la France ». La contribution d’Yves Lacoste porte le titre de « La conquête de l’Algérie, un cas très exceptionnel »

L’auteur, fondateur en 1976 de la revue de géopolitique Hérodote, traite ici des relations entre la France et l‘Algérie, de la conquête amorcée en 1830 à nos jours. Son analyse porte sur la spécificité de l’Algérie dans l’aventure coloniale française et sur les traces laissées par ce moment colonial dans la France contemporaine.

L’approche du thème est résolument géopolitique. Tout en soulignant son flou et ses incertitudes, le projet de conquête de l’Algérie est systématiquement éclairé par la prise en compte des relations géopolitiques : statut d’une France qui sort amoindrie et surveillée de l’aventure napoléonienne, rivalité sourde avec la Grande-Bretagne, implication dans le proche Orient, etc.

L’auteur nous propose des réflexions sur d’éventuelles évolutions en Algérie même, qui auraient pu conduire à une décolonisation moins dramatique et à des relations entre la France et l’Algérie actuelles moins grevées par le poids d’une mémoire conflictuelle. Évoquer les possibles, c’est identifier les blocages et donc expliquer ce qui a eu lieu.

Il pointe donc rétrospectivement les possibles qui auraient pu infléchir sensiblement le cours de l’histoire. Il mène ainsi une comparaison éclairante avec la gestion du Maroc par la France ; il pointe la responsabilité des colons dans leur volonté de maintenir la population indigène dans un état de constante subordination (rejet des projets de Napoléon III, statut                      organique de l’Algérie de 1947 inscrivant de fait l’inégal représentation des élus « européens » et « musulmans » dans la nouvelle Assemblée algérienne etc).

L’auteur réfute par ailleurs certaines représentations d’une Algérie « terre de peuplement », en raison de l’atonie démographique de la France métropolitaine et de la vente des biens nationaux (qui avait produit de nombreux paysans propriétaires nullement enclins, dans leur grande majorité, à rechercher de nouvelles terres). C’est d’ailleurs grâce à un vaste recours aux immigrants espagnols, maltais etc. que les terres confisquées ou achetées furent mises en valeur dans un espace algérien qui drainait les courants migratoires vers les villes du littoral.

Yves Lacoste analyse les représentations dominantes qui se sont imposées et qui, souvent à ses yeux, font écran à une analyse historique distanciée et heuristique du drame franco-algérien.

Il identifie les diverses « guerres civiles » qui font la spécificité du conflit algéro-français.

Le style est vif et concis, de nombreuses assertions poussent le lecteur à s’interroger sur ses propres certitudes, où sur les lieux communs dont il est parfois imprégné à propos de l’Algérie.

L’enseignant du second degré trouvera une présentation rapide et concise de la guerre d’Algérie dans la deuxième partie de l’article, avec une insistance sur les conséquences majeures du conflit sur notre histoire institutionnelle*.

En conclusion, un texte relativement court qui brosse près de deux siècles de relations entre la France et l’Algérie en interrogeant certaines de nos certitudes hâtives. C’est un plaidoyer pour un besoin d’histoire : « l’un des rôles de la géopolitique, n’est pas seulement de prévoir, d’annoncer ce qui va se passer. C’est aussi d’expliquer ce qui s’est passé – surtout si ce sont de vilaines affaires – et, pour cela, il faut comprendre les points de vue contradictoires des adversaires, leurs représentations géopolitiques, c’est-à-dire les façons plus ou moins antagonistes dont ils se représentent le territoire où ils pensent « être chez eux ».

*Le lecteur averti précisera de lui-même l’ellipse p175 : « l’élection du Président de la République au suffrage universel sera votée en 1965 ». 1965 est la première élection du président de la Ve république au suffrage universel direct ; c’est la mise en application du vote par référendum du 28 octobre 1962 instituant ce mode d’élection.

Fiche réalisée par Claude Basuyau

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