Femmes, armée et éducation dans la guerre d’Algérie

Luc CAPDEVILA, Femmes, armée et éducation dans la guerre d’Algérie. L’expérience du Service de Formation des Jeunes en Algérie, PUR, 2017

Voici une recherche qui aborde un aspect moins connu de la guerre d’Algérie.

Dans la logique de la stratégie de Jacques Soustelle, gouverneur de l’Algérie en 1955, plusieurs dispositifs furent mis en place pour encadrer la population musulmane et la détacher de l’influence des « rebelles » en démontrant l’apport positif de la présence française. Ce furent les SAS (Sections Administratives Spéciales) dirigées par des officiers pour combler les insuffisances de l’administration en Algérie ; ce furent également les CSE (Centres Sociaux Administratifs), chers à Germaine Tillion, chargés de développer la scolarisation, la formation professionnelle et l’assistance médicale. Il s’agissait clairement d’une stratégie contre insurrectionnelle destinée à gagner la faveur des populations musulmanes. Le SFJA, visant la formation des jeunes des deux sexes, relève de cette même logique. Il est créé le 1er décembre 1958 en liaison avec le plan de Constantine ; il s’agissait de mener une action négligée depuis les débuts de l’Algérie française (moins de 13% seulement des enfants musulmans de 6 à 14 ans étaient scolarisés). Le programme du SFJA, né dans la contre-insurrection sera rapidement associé à la politique de développement économique et social de l’Algérie.

L’appel à candidatures pour intégrer le CEMJA de Nantes (le Centre de formation d’Enseignement des Monitrices de la Jeunesse d’Algérie) concernait prioritairement des jeunes femmes de 18 à 35 ans résidant en Algérie (70% « musulmanes », 30 % « européennes »). La formation avait lieu dans un internat en France, dans une caserne de Nantes. Aux critères d’aptitude physiques et culturels (savoir lire et écrire en français), les candidates devaient fournir un certificat de bonne vie et mœurs. Les monitrices formées exerçaient donc sous statut militaire, même si le SFJA demeure civil et évolue en fonction du contexte pour accompagner l’association puis l’autodétermination.

L’occasion pour ces jeunes femmes d’avoir un métier reconnu par un diplôme et de toucher un salaire furent de fortes motivations auxquelles se conjugue une vocation sociale nourrie d’altruisme.

La fréquentation quotidienne de jeunes « musulmanes » et « européennes » s’inscrivait dans le projet de rapprochement des deux communautés. La formation des stagiaires portait sur des enseignements généraux, sur une sensibilisation au contexte d’inter-culturalité, sur une initiation à la sociologie occidentale et à la sociologie musulmane. Une initiation aux langues arabe et berbère était suggérée, mais non incluse dans le cursus de formation. Cet enseignement dispensé par de jeunes femmes à d’autres femmes et à des enfants, restait sexuée comme en témoignent les contenus des cours (les garçons recevaient un enseignement afin d’être en mesure d’exercer une profession, les jeunes filles apprenaient à tenir le foyer familial et à devenir de bonnes mères de famille). Les méthodes pédagogiques actives étaient privilégiées ainsi qu’un travail relationnel avec les familles.

L’organisme fut dissout le 30 juin 1962. Ses derniers mois d’existence furent difficiles car le personnel reçut des incitations à la désertion et fut la cible d’attentats probablement autant du FLN que de l’OAS qui voyaient dans le personnel des « gens de Gauche » (à la même époque, l’OAS assassina 6 directeurs des centres sociaux éducatifs)

Ce travail de recherche fouillé, situant constamment l’histoire du SFJA dans le contexte évolutif de la guerre d’Algérie, se double de nombreux témoignages des monitrices. Il s’agit donc d’un travail collaboratif mené avec l’association des vétérans du SFJA. Cette méthode s’efforce de combler l’éclatement et la dispersion des archives. Histoire et mémoire sont donc intimement imbriquées dans cette ouvrage. Signalons également la présence de nombreuses illustrations (photographies, couvertures de classeur dr fiches pédagogiques, tableaux statistiques, brochures.

 

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