À propos de la Fusillade de la rue d’Isly, Alger, 26 mars 1962, par Alain Ruscio

La guerre d’Algérie a hélas été ponctuée par des drames en cascade. Parmi ceux-ci, l’épisode de la fusillade de la rue d’Isly, en plein cœur d’Alger, possède une triste spécificité : le 26 mars 1962, des Français tombèrent sous les balles de soldats français.

Cet épisode doit être, comme tout phénomène historique, replacé dans son contexte.

L’escalade de la tension[1]

Depuis début 1962, les entretiens d’Évian sont entrés dans une phase active, et chacun sait que la signature d’un accord France-GPRA est imminente. L’activité de l’OAS redouble. En métropole, l’attentat du 7 février 1962, au cours duquel la petite Delphine Renard est gravement blessée, en est un signe.

Mais l’escalade en Algérie est infiniment plus sanglante. Ce même 7 février, le général Salan, pour la première fois, autorise ses commandos à ouvrir le feu sur des soldats français, en cas de nécessité. Décision aggravée par une directive, dite OAS / 29, en date du 23 février[2], commençant par cette phrase : « L’irréversible est sur le point d’être commis ». L’irréversible ? En fait, l’achèvement du processus de négociations mettant fin à la guerre. Fidèle à cette logique, Salan considérait donc qu’il fallait de toute urgence provoquer les événements par l’adoption d’une stratégie d’« offensive généralisée » contre « l’Adversaire », nommément désigné : d’abord « les unités de gendarmerie mobile et CRS », considérées comme totalement fidèles au système, secondement « les unités de l’armée », peut-être « moins satisfaites de leur mission ». Salan, logique avec lui-même, donnait alors comme consigne à ses activistes : « Ouverture systématique du feu sur les unités de gendarmerie mobile et les CRS. Emploi généralisé de “bouteilles explosives“ pendant les déplacements de jour et de nuit ». On est en présence d’un vocabulaire de guerre civile, on a affaire à un appel ouvert au meurtre contre les forces de l’ordre, légalement mandatées. Quels sont nos atouts ? poursuivait Salan. Et il citait en premier lieu « la population » (sous-entendu : européenne), qualifiée d’« outil valable (…) considérée en tant qu’armée dans un premier temps et en tant que masse et marée humaine dans un temps final ».

Ces phrases sont terribles. Elles condamnent Salan devant l’Histoire plus, à mon avis, que la tentative de putsch d’avril 1961. Car l’ex-général connaissait parfaitement la situation réelle du pays, il ne pouvait pas ne pas savoir, alors, que toute tentative de résister à l’indépendance de l’Algérie était désormais vouée à l’échec. Et il instrumentalise (« outil valable ») la population civile.

Suivait enfin cette consigne, qui sonne douloureusement quand on connaît la suite, rue d’Isly : « Sur ordre des commandements régionaux, la foule sera poussée dans les rues à partir du moment où la situation aura évolué dans un sens suffisamment favorable ».

À l’appel au crime contre ses adversaires, Salan ajoutait l’irresponsabilité envers ceux qu’il disait vouloir protéger : il ne pouvait ignorer que, dans son entourage, il y avait des hommes prêts à tout, de véritables fanatiques. Les Mémoires de Jean Ferrandi, 600 jours avec Salan[3], prouvent amplement que la direction de l’OAS était consciente qu’elle ne contrôlait pas tous ses éléments, loin s’en fallait. Donner la possibilité à ces hommes de « pousser la foule dans les rues », était vouer à la mort certaine des civils.

Cette directive est donc du 23 février. Elle est suivie immédiatement d’effet : le 25 février, à Maison carrée, près d’Alger, une gendarmerie est attaquée au bazooka ; il n’y a pas (encore) de victimes.

On imagine que l’annonce de la signature de l’accord augmente la tension et précipite la fuite en avant des éléments les plus déterminés de l’OAS.

Dès le 19 mars, Salan réaffirme ses consignes à Radio France, la voix de l’Algérie française, captée par toute la communauté pied-noir : « Je donne l’ordre à nos combattants de harceler toutes les positions ennemies dans les grandes villes d’Algérie »[4]. Notons au passage que c’est à ce moment, le 20 mars précisément, selon le témoignage irréfutable de Jean Ferrandi[5], que Salan envisage un repli vers l’étranger (l’Italie ?) pour y poursuivre la lutte.

Un nom va alors, durant ces terribles journées, symboliser le refus acharné du fait accompli : Bab-El-Oued.

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