Un film que l’on peut utiliser dans le cadre d’un Club Cinéma et histoire, d’un Club Histoire, ou bien en cours.
L’honneur d’un capitaine (1982)
Le film
Le réalisateur :
Pierre Schoendoerffer (1928-2012), écrivain, documentariste et réalisateur.
Né dans une famille protestante alsacienne, il intègre le Service cinématographique des armées ce qui lui donne la possibilité de filmer la guerre d’Indochine de 1952 à la défaite de Dien Bien Phu en 1954, où il est fait prisonnier. Libéré, il est l’auteur de reportages photographiques puis se lance dans la carrière de réalisateur. Il réalise ainsi en 1964 le film La 317e section en 1964, largement inspiré de son expérience de la guerre en Indochine.
Une grande partie de son œuvre cinématographique témoigne de l’expérience combattante soit sous la forme de documentaires comme La section Anderson en 1967 qui présente plusieurs semaines d’une section de l’armée américaine pendant le guerre du Vietnam, soit sous la forme de fictions comme L’honneur d’un capitaine en 1982.
Parmi ses principales réalisations filmiques, on peut citer :
. 1965 : La 317e Section
. 1967 : La Section Anderson (documentaire sur la guerre du Vietnam)
. 1977 : Le Crabe-tambour
. 1982 : L’Honneur d’un capitaine
.1989 : Réminiscence ou la Section Anderson 20 ans après, documentaire dans lequel il retrouve les survivants de la Section Anderson et témoigne de la naissance d’une mentalité d’anciens combattants meurtris par la guerre
. 1992 : Diên Biên Phu
Synopsis du film
Le film débute par un débat télévisé entre plusieurs invités faisant suite à la projection d’un film sur la guerre d’Algérie (allusion à l’émission de la deuxième chaîne de l’O.R.T.F, Les dossiers de l’écran, créée par Armand Jammot en 1967 et présentée par Alain Jérôme).
Au cours du débat, les méthodes du capitaine Caron tué en 1957 (interprété par Jacques Perrin) sont dénoncées par l’un des intervenants, le professeur Paulet (Jean de Vigny). La veuve du capitaine (Nicole Garcia) intente alors un procès en diffamation. Sa cause est défendue par son oncle, bâtonnier (Georges Wilson), et une jeune avocate (interprétée par Claude Jade), tandis que maître Gillard (Charles Denner) défend Paulet.
Le film alterne donc des moments du procès, avec citation de témoins, et des retours en arrière présentant des épisodes du commandement du capitaine Caron à la tête de la 2e Compagnie du 423e Bataillon d’infanterie alpine en Algérie.
Au cours du procès, Paulet et son avocat s’attachent à démontrer la culpabilité de Caron dans plusieurs affaires :
– l’exécution d’un traître algérien incorporé dans l’armée française. Caron est innocenté par le témoignage d’anciens du bataillon, cette exécution ayant eu lieu avant sa prise de commandement
– l’exécution d’un prisonnier de l’A.L.N (l’Armée de Libération Nationale). La défense démontre que l’exécution a effectivement eu lieu mais qu’elle est le résultat d’une méprise. Caron se trouvait en contrebas de l’opération et a donné l’ordre à la radio « descendez-le » afin qu’on lui amène le prisonnier. Un ordre mal compris par un soldat qui abat le prisonnier.
– la disparition d’un villageois, proche des fellaghas, ainsi que la violation du territoire tunisien.
En fin de compte, la culpabilité du capitaine n’est jamais prouvée et Paulet est donc condamné au franc symbolique pour diffamation.
Le film s’achève, après le procès, par un dialogue entre d’anciens militaires cités par la défense. Dialogue qui invite à nuancer les responsabilités respectives.
À propos du film :
Pierre Schoendoerffer a voulu mettre en scène la nature particulière et la violence de la guerre, ainsi que les conflits de mémoire qui continuent de fracturer la société française. Il a souhaité, par ce film, rendre hommage aux 2 800 000 jeunes appelés du contingent envoyés en Algérie et confrontés à la violence, la violence subie et à la violence infligée.
Le film a été tourné en Ardèche. Ce sont les harkis de Provence et leurs familles qui interprètent les rôles algériens. L’armée française ayant refusé de mettre à disposition du réalisateur du matériel et des soldats, Pierre Schoendoerffer a dû se tourner vers des collectionneurs pour disposer de véhicules et de matériel militaire. Quant aux soldats, ce sont des jeunes acteurs qui ont dû se suivre une formation militaire accélérée dispensée par Pierre Schoendoerffer lui-même. Axé sur l’expérience de la guerre des jeunes appelés, le film n’aborde pas d’autres thèmes. Il n’aborde pas, par exemple, celui de la situation des pieds noirs.
L’intérêt pédagogique du film
Il est important de situer le film dans le temps, moins de 20 ans après la fin de la guerre d’Algérie qui a inspiré plusieurs représentations filmiques antérieures et de préciser les difficultés rencontrées par le réalisateur.
Le film est captivant car il est construit comme une enquête, une énigme à résoudre.
Son utilisation en classe permet :
– de donner une idée précise des formes prises par la guerre d’Algérie dans les régions montagneuses. D’une part, des katibas mobiles qui pratiquent la guérilla et bénéficient de l’aide d’une partie de la population, de l’autre une armée française mieux équipée, qui dispose de moyens supérieurs (véhicules, hélicoptères, aviation…), mais qui doit s’adapter à une guerre subversive par une mobilité accrue, le quadrillage du pays et la création d’une section de chasse (la horde de Caron). Plusieurs séquences présentent des accrochages. Il s’agit d’une guerre asymétrique.
– d’évoquer la violence à laquelle de jeunes appelés (même si Caron est un militaire de carrière) sont confrontés. La violence subie, celle des embuscades, de la mort des copains, des attentats, des égorgements, de l’exécution de prisonniers français par l’A.L.N,… mais aussi la violence infligée à travers l’usage de la torture, les « disparitions », les « corvées de bois », les exécutions sommaires.
– de montrer la situation complexe des Algériens. Des harkis combattent d’autres Algériens qui ont rejoint l’A.L.N. Une population par ailleurs prise entre deux feux, comme l’illustre le plasticage de l’école. Un plan rapide montre un Algérien couvert de décorations qui voit passer le corps d’un fellagha mort au combat.
– de poser le problème de la responsabilité des politiques et des militaires. Paulet rappelle que des militaires ont refusé d’appliquer certaines méthodes (allusion discrète au général de la Bollardière).
– d’illustrer la violence des conflits de mémoires tant lors du débat télévisé que lors du procès. Le panel des opinions est large entre la dénonciation d’une guerre coloniale et des méthodes employées par l’armée française, l’implication sur le terrain de militaires chargés d’une mission, le refus de toute mise en cause de l’armée (le témoin qui a rejoint l’O.A.S. illustre les fractures à l’intérieur même de l’armée). Des conflits de mémoires que l’on a vainement tenté de dépasser par la loi d’amnistie du 31 juillet 1968.
Il faut souligner que le réalisateur a inscrit la guerre d’Algérie dans la continuité de la guerre d’Indochine (Caron a combattu en Indochine et des images de ce conflit sont insérées dans le film). Il a refusé tout manichéisme en montrant que les attitudes des personnages peuvent s’opposer malgré des engagements communs antérieurs : Paulet comme Caron sont d’anciens résistants. Le film rappelle par ailleurs que plusieurs fellaghas ont combattu dans l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ombre de l’occupation nazie est omniprésente dans le film car elle pose la question de l’utilisation de méthodes similaires, comme la torture.
Le film est par ailleurs propice à une réflexion que suscitent certaines déclarations de personnages : « celui qui juge est terrible s’il juge faux » (le bâtonnier), « la responsabilité politique n’enlève rien à la responsabilité individuelle » (maître Gillard), « l’histoire ne se juge pas, elle se constate » (le bâtonnier). Enfin, des extraits de la lettre de Caron à sa femme méritent d’être évoqués en classe : « une guerre de voyous contre des voyous… pourquoi la république nous a-t-elle abandonnés ? »
Proposition de Claude Basuyau, professeur agrégé d’histoire et géographie