Introduction : Mémoires et Histoire, deux rapports au passé
L’intitulé même du thème « les mémoires de la guerre d’Algérie » implique plusieurs remarques préliminaires :
- Il existe donc des mémoires de la guerre d’Algérie… on verra qu’elles sont parfois antagonistes … il n’existe donc pas de mémoire unifiée de la guerre d’Algérie.
- Le thème des mémoires est abordé dans votre cours d’Histoire, c’est-à-dire que les mémoires sont devenues un objet d’histoire. L’historien étudie les éléments qui les constituent, identifie les groupes qui les portent, étudie comment elles évoluent ou perdurent.
Il les étudie car elles conditionnent des prises de position des divers groupes qui les portent. Elles sont donc actives dans notre présent. Ces mémoires sont souvent une affirmation identitaire et, on le verra, une revendication de reconnaissance.
- La vivacité de ces mémoires non apaisées, près de 60 ans après la fin du conflit, prouve le poids de la guerre d’Algérie dans l’histoire politique tant de la France que de l’Algérie, et dans les relations entre les deux pays…
La guerre d’Algérie est donc bien « un passé qui ne passe pas » (pour reprendre l’expression de l’historien Henri Rousso à propos de la période de l’Occupation de la France entre 1940 et1944).
Ces remarques préliminaires nécessitent que soient précisées les spécificités de la mémoire, de l’Histoire, ainsi que les relations entre mémoire(s) et Histoire.
La mémoire :
- C’est d’abord la mémoire d’un individu ou d’un groupe d’individus qui ont vécu personnellement un événement.
On parle ainsi de la mémoire des appelés du contingent, de celle des pieds noirs, des harkis etc…
- La mémoire est chargée d’émotion et est, en conséquence, subjective: elle sélectionne les faits, donne plus ou moins d’importance à tel ou tel événement, en ignore ou minore d’autres. Elle peut donc déformer la réalité… ; créer éventuellement un imaginaire historique.
- Les mémoires, au fil du temps, sont marquées par des permanences mais aussi des évolutions.
- Enfin, il existe une mémoire particulière, lorsqu’elle est une construction volontaire par un État qui veut imposer une histoire officielle, par l’enseignement par exemple.
Une histoire parfois très éloignée du travail des historiens. C’est le cas de la mémoire officielle de la guerre d’Algérie en Algérie même.
Ces caractéristiques distinguent la mémoire de l’Histoire :
- Le travail des historiens vise à établir les faits et à donner un récit explicatif du passé.
- Pour cela, l’histoire, science humaine, s’appuie sur une démarche scientifique: elle utilise les documents les plus divers qui sont à la base du travail de l’historien qui doit dévoiler ses sources lorsqu’il propose une reconstruction explicative du passé…
…une thèse d’histoire, un ouvrage d’historien, par exemple, est truffée de notes en bas de page car l’historien doit citer les sources qui justifient l’analyse qu’il propose…
- Ce travail est caractérisé par une tension vers l’objectivité, ce qui suppose la mise à distance de l’affectif et l’analyse critique des sources
N’oublions pas que le travail de l’historien est soumis à la critique de ses pairs.
Se pose alors une question : quelles relations entretiennent l’Histoire et les mémoires ?
Il serait naïf d’opposer totalement l’Histoire et les mémoires.
Il y a des recouvrements (la mémoire n’est pas un tissu de mensonges ou d’élucubrations qui s’opposerait à la vérité de l’Histoire).
Les témoignages, par exemple, sont une source d’information pour l’historien, mais ce n’est évidemment pas la seule et, par ailleurs, les témoignages sont soumis à la critique : « la façon dont telle personne me raconte ce qu’il a vécu est-elle conforme à la réalité, ou exprime-t-elle un point de vue ? »
Donc, lorsqu’un historien s’intéresse aux mémoires, il les soumet à l’analyse critique afin d’y déceler les éléments de vérité et ceux qui relèvent d’une lecture affective.
L’historien sait par ailleurs qu’une mémoire n’est pas seulement un regard vers le passé, qu’elle peut conditionner des prises de positions et des engagements dans le présent.
Vous aurez donc compris que l’historien s’intéresse aux mémoires : c’est effectivement l’objet de ce cours.