Ce document permet d’aborder de nombreux aspects du programme : la guerre d’Algérie et les déchirements de l’opinion française, la politique algérienne du général de Gaulle, la constitution de 1958, la personnalité du chef de l’État et le style gaullien. C’est donc un document au croisement de plusieurs thèmes du programme.
Le texte n’est pas très long et sa présentation peut s’appuyer sur les vidéos disponibles sur Internet. Une approche attractive pour les élèves et apte à faire sentir la gravité de la situation et le style gaullien.
Contexte :
La guerre d’Algérie dure depuis le 1er novembre 1954, c’est)à-dire depuis plus de 6 ans et 5 mois. Ses répercussions sur l’histoire nationale sont majeures : envoi du contingent en Algérie depuis 1956, remise des pleins pouvoirs à l’armée en Algérie[1], chute de la IVe République en 1958 et retour aux responsabilités du général de Gaulle qui met en place la Ve république, pour ne citer que ces aspects.
Depuis 1959, notamment depuis son discours du 16 Septembre 1959, de Gaulle a engagé la France dans la voie de l’acceptation éventuelle de l’indépendance algérienne. Le 8 janvier 1961, 74,99% des électeurs ont validé par referendum le projet politique d’autodétermination de l’Algérie proposé par le chef de l’État. Cette politique suscite une vive opposition de la part des « Européens » d’Algérie et d’une partie de l’armée. Le 21 avril, 4 généraux entrent en rébellion et réalisent un putsch à Alger, une tentative de prise du pouvoir pour garantir le maintien de l’Algérie française.
Le discours du général de Gaulle, président de la république, le 23 avril est la réaction du chef de l’État à cette tentative de putsch.
Activité des élèves :
Il peut être prudent de donner, en accompagnement du questionnaire, quelques définitions :
- Pronunciamiento : coup d’état militaire, putsch (terme d’habitude lié aux pays hispanophones)
- Quarteron : terme employé ici de façon personnelle par le général de Gaulle pour désigner les 4 généraux auteurs du putsch. Le terme a une connotation péjorative.
On peut utiliser de différentes façons ce document.
. Dans le déroulement du cours, il peut être proposé aux lycéens, accompagné d’un questionnaire (et d’une projection de l’allocution, disponible sur Internet)
. Il peut aussi être donné, avec un questionnaire, comme un travail préparatoire dont la correction s’effectue en classe.
. Il peut être le support d’un travail sur table à l’issue du cours sur la guerre d’Algérie.
Analyse du discours (suggestion de questions/ réponses associées)
. Qui sont les responsables du putsch ? Où a t-il lieu ?
—> Le coup d’État est réalisé principalement par 4 généraux (Raoul Salan, André Zeller, Maurice Challe, Edmond Jouhaud) ainsi que des colonels, qui s’appuient sur quelques unités d’élite (« unités spécialisées ») comme le 1er REP, Régiment Étranger de Parachutistes qui s’est illustré notamment lors de la bataille d’Alger en 1957.
Les putschistes ont pris le pouvoir à Alger.
. Expliquez la phrase « ce groupe et ce quarteron……. frénésie »
—> De Gaulle reconnaît le « professionnalisme » des putschistes (bataille d’Alger, efficacité du plan Challe…) mais dénonce, outre le coup d’État, leur incapacité à comprendre (« la nation et le monde »), la hauteur de vue du politique qui tient compte de la lassitude de la Nation face à la guerre et le contexte international qui condamne inéluctablement le fait colonial et l’opinion internationale qui dénonce la politique française en Algérie.
. Comment expliquez-vous l’allusion au 18 juin 1940 ? Quel élément visuel de la mise en scène du discours est en écho avec cette allusion ?
—> le président de la République mobilise le prestige attaché à sa personne en raison de son rôle dans l’organisation de la Résistance évoquée ici par l’allusion au discours du 18 juin 1940. Cette allusion est renforcée par le fait que le Président de la République apparaît ici dans son uniforme de général.
. Comment de Gaulle présente-t-il la situation de la France « depuis trois ans » ?
—> c’est une allusion directe à son bilan politique depuis 1958, date de son accession aux responsabilités politiques puis son élection en tant que premier président de la Ve république.
Toutes les allusions sont, à l’époque, transparentes pour les auditeurs du discours : maintenir l’unité nationale = briser le coup d’état du 13 mai 1958 / reconstituer notre puissance = moderniser la France et la doter de l’arme nucléaire / rétablir notre rang = faire de la France une puissance internationale reconnue assurant son indépendance (arme nucléaire, rôle diplomatique détachant la France d’une allégeance trop atlantiste / notre œuvre outre-mer = prendre en compte l’inéluctabilité de la décolonisation, effective par exemple pour l’Afrique noire française.
Il s’agit donc de présenter son œuvre politique comme un redressement national mis en danger par le putsch militaire.
. Relevez dans le lexique utilisé par le général de Gaulle quelques termes qui caractérisent le putsch/ à quels termes s’oppose-t-il ?
—> désastre national, aventure odieuse et stupide ≠ l’unité nationale, puissance reconstituée, république restaurée…
. Quels procédés rhétoriques le président utilise-t-il pour souligner la gravité de la situation et sa volonté ferme de combattre l’insurrection militaire
—> la répétition : hélas, hélas, hélas / j’ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens
. Quel principe élémentaire de toute démocratie est rappelé par la phrase « hélas par des hommes….obéir ».
—> la subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil.
. Quel ordre le Président de la république donne-t-il aux français ? À qui pense-t-il, en particulier quand il dit « à tout soldat »
—> de désobéir à tout ordre émanant des putschistes. Il pense en particulie aux appelés du contingent.
. Comment le Président s’appuie-t-il sur les moyens que lui donne la nouvelle constitution ? Vous préciserez le contenu de l’article 16.
—> il met en œuvre l’article 16 de la Constitution qui lui confère des « pleins pouvoirs » pour une période limitée (prorogation de l’état d’urgence sans discussion parlementaire, augmentation de la durée de garde à vue, application de l’internement administratif ici aux partisans de l’Algérie française…)
La mise en œuvre de l’article 16 nécessite le respect d’une procédure ici rappelée par le Président (avis du Conseil Constitutionnel, du Premier ministre, des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale).
. Pourquoi insiste-t-il sur « la légitimité française républicaine que la nation m’a conférée » ?
—> l’article 16 ayant suscité de vives critiques lors de l’adoption du projet de constitution (crainte d’une dérive autoritaire), le Président rappelle sa propre légitimité républicaine afin de justifier l’emploi de l’article 16 compte-tenu des menaces sur le régime républicain. Il agit donc dans le cadre de la Constitution adoptée par référendum par la Nation (82% )
. Pourquoi appelle-t-il à l’aide les Françaises et les Français ?
—> à la fois pour souligner la gravité de la situation et pour susciter une résistance républicaine et nationale si le putsch prenait de l’ampleur (on craignait une action militaire des généraux rebelles sur la capitale, on parlait même de parachutages sur Paris).
Extension :
Le professeur a l’occasion de travailler sur 3 points essentiels :
- Le rôle des institutions de la Ve république et le prestige du général de Gaulle (rappel de son rôle depuis 1940) et qualité de son intervention dans le verbe et l’image (rôle de la télévision et de la radio… que les appelés écoutent sur les nouveaux postes transistors.
- La mise en route rapide des négociations qui aboutissent en mars 1962 aux accords d’Evian
- Les fractures majeures entre les partisans de l’Algérie française et les partisans de la négociation avec le FLN : des fractures qui ne s’apaisent pas avec le fin du conflit algérien mais perdurent dans une guerre des mémoires toujours vivace.
Détails. :
. L’article 16 : l’article 16 est mis en œuvre le 23 avril et sera utilisé jusqu’au 29 septembre 1961. C’est la seule fois qu’il sera utilisé.
. L ‘échec du putsch est rapide (en 3 jours), notamment parce que l’essentiel de l’armée reste loyaliste, à commencer par les appelés du contingent et parce que les putschistes, au programme flou, ne trouvent aucun soutien en métropole. Par ailleurs, le discours et l’autorité du général de Gaulle ont joué pleinement contre le projet factieux.
Les principaux responsables du putsch sont arrêtés (Challe, Zeller) ou prennent la fuite (dans l’Espagne franquiste comme Salan et Jouhaud qui prennent la tête de l’OAS avec son fondateur Jean-Jacques Susini.
Des sanctions s’abattent sur certains officiers qui sont relevés de leurs fonctions ou traduits en justice (114). Plusieurs régiments sont dissous comme le 1er REP.
. Les partisans les plus radicaux de l’Algérie française, les « ultras » agissent désormais dans le cadre de l’O.A.S., l’Organisation de l’Armée Française fondée en Espagne le 8 janvier 1961. De Gaulle aura à combattre cette organisation violente qui agira dans la clandestinité pour faire échouer la marche vers l’indépendance algérienne. L’OAS sera responsable de plusieurs attentats contre le chef de l’État (par exemple au Petit-Clamart le 22 août 1962)
. L’échec du putsch permet l’ouverture officielle des négociations à Évian avec les représentants algériens, mais celles-ci seront longues et difficiles avant d’aboutir aux accords du 18 mars et au cessez-le-feu du 19 mars 1962.
Documents annexes :
Texte du discours radiotélévisé du Président de la République du 23 avril 1961
Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire. Les coupables de l’usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spéciales, l’adhésion enflammée d’une partie de la population de souche européenne, égarée de crainte et de mythes, l’impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire. Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite ; il a une réalité : un groupe d’officiers partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir faire limité et expéditif. Mais ils ne voient, ils ne connaissent la Nation et le monde que déformés au travers de leur frénésie. Leur entreprise ne peut conduire qu’à un désastre national. Car l’immense effort de redressement de la France entamé depuis le fond de l’abîme le 18 juin 1940, mené ensuite en dépit de tout jusqu’à ce que la victoire fut remportée, l’indépendance assurée, la République restaurée ; repris depuis 3 ans afin de refaire l’Etat, de maintenir l’unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au dehors, de poursuivre notre oeuvre outremer, à travers une nécessaire décolonisation ; tout cela risque d’être rendu vain à la veille même de la réussite par l’odieuse et stupide aventure d’Algérie. Voici que l’Etat est bafoué, la Nation bravée, notre puissance dégradée, notre prestige international abaissé, notre rôle et notre place en Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! Hélas ! Par des hommes dont c’était le devoir, l’honneur, la raison d’être de servir et d’obéir. Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis : tous les moyens, soient employés partout pour barrer la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français et d’abord à tout soldat d’exécuter aucun de leurs ordres. L’argument suivant lequel il pourrait être localement nécessaire d’accepter leur commandement sous prétexte d’obligation opérationnelle ou administrative ne saurait tromper personne. Les chefs civils et militaires qui ont le droit d’assumer les responsabilités sont ceux qui ont été nommés régulièrement pour cela et que précisément les insurgés empêchent de le faire. L’avenir des usurpateurs ne doit être que celui que leur destine la rigueur des lois. Devant le malheur qui plane sur la Patrie et devant la menace qui pèse sur la République, ayant pris l’avis officiel du Conseil constitutionnel, du premier ministre, du président du Sénat, du président de l’Assemblée nationale, j’ai décidé de mettre en oeuvre l’article 16 de notre Constitution. A partir d’aujourd’hui je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances. Par là même je m’affirme en la légitimité française et républicaine qui m’a été conférée par la Nation, que je maintiendrai quoiqu’il arrive jusqu’au terme de mon mandat ou jusqu’à ce que viennent à me manquer soit les forces soit la vie, et que je prendrai les moyens de faire en sorte qu’elle demeure après moi. Françaises, Français, voyez où risque d’aller la France, par rapport à ce qu’elle était en train de redevenir. Françaises, Français, aidez-moi !
L’article 16 de la Constitution de la Ve république
Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.
————————–
Fiche réalisée par Claude Basuyau
[1] Le 12 mars 1956, un vote de l’Assemblée nationale (y compris le parti communiste) accorde les pouvoirs spéciaux au gouvernement français pour faire face à la guerre d’Algérie (le terme « guerre » n’est pas employé à l’époque). Le 17 mars, le Président du Conseil Guy Mollet remet les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie.